Vous êtes ici: Espace vécu

« Je présente ici quelques idées sommaires sur un thème [l’espace vécu] dont l'importance et l'intérêt géographique me sont apparus il y a une quinzaine d'années* lorsque j'ai constaté l'écart considérable, ou, pour dire mieux, l'étrangeté qui séparait la perception de l'espace propre aux différents peuples d'une région africaine, de ma vision personnelle de géographe européen dans cette même région ». Ces lignes en témoignent, l’espace vécu est une constante des travaux de Jean Gallais depuis les premiers où l’expression n’apparaît pourtant pas comme telle. Cependant, la question est déjà à l’esprit du chercheur qui juge bon dès 1957 de capitaliser matériaux et méthodes utiles à cette réflexion (questionnaires, enquêtes, entretiens, photographies…) qui seront très fréquemment réutilisés par la suite, notamment dans sa thèse qui constitue aujourd’hui encore une des références les plus anciennes sur le sujet.

Jean Gallais place la question de l’espace vécu sur 4 interfaces dont trois doivent directement à l’étude du Delta intérieur du Niger qui constitue un point de comparaison pour la dernière. C’est sans doute l’articulation « Espace vécu - géographie régionale - monde tropical » qui spécifie l’approche de Jean Gallais. Rapidement, celui-ci s’interroge sur l’écart qu’il y a entre le chercheur et les populations étudiées dans ce qu’ils voient d’une même région. Puis, par glissement, l’écart se déporte sur le pôle « nature » de cette géographie régionale. Très vite, Jean Gallais renonce à la quête illusoire d’une nature universelle qui n’existe pas au profit de l’étude de catégorisations construites de la nature fondées sur la perception, sur les projets de sociétés et sur les rapports sociaux qu’il juge plus efficients. L’interface « Espace vécu - nature » est ainsi posée. La troisième interface « Espace vécu – mobilités » trouve aussi ses raisons dans les particularités de la région étudiée où Jean Gallais a été amené à étudier les populations nomades dans leurs articulations aux populations sédentaires. Si l’on pourrait conclure de ces trois premiers points que le Delta Intérieur du Niger a imposé l’espace vécu à Jean Gallais, il faut surtout retenir que le chercheur qui a su ne pas être aveugle à ses spécificités, qu’il a accepté d’être bousculé pour son objet pour très vite stabiliser l’outillage indispensable à son étude. L’importance définitive de l’approche par l’espace vécu sera confortée chez Jean Gallais par les travaux comparatifs qu’il conduira au Brésil puis en Inde, l’étude du « village indien » (1972) apportant alors un point de comparaison à « La signification du village en Afrique Soudanienne » (1960).

* par cette communication du 8 mai 1973, Jean Gallais date son étonnement des années 1958, cad dès ses premiers contacts avec le delta intérieur du Niger.