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Jean GALLAIS (1981), L’évolution de la pensée géographique de Pierre Gourou sur les pays tropicaux (1935-1970)


Source : Les annales de géographie, volume 90, numéro 498, p. 129-150.

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Dans cet article publié en 1981, Jean Gallais s’impose un exercice difficile. Analyser du vivant de son auteur une œuvre en cours « remplit de modestie tout géographe actuel de bonne foi ». Son volume n’est pas la seule raison. En dégager simultanément l’originalité, l’évolution et la cohérence revient à surexposer la qualité sur la quantité. C’est le choix que fait Jean Gallais. Si réduire le périmètre d’étude aux écrits de 1935 à 1970 portant sur le monde tropical facilite l’exercice, c’est aussi le moyen qu’il choisit pour spécifier la posture de P. Gourou. La connivence d’un lieu et d’une pensée éclaire l’anti-universalisme d’un auteur qui a su éviter avec agilité l’inverse contre-productif de la fétichisation du particulier. A une époque où les méthodes déductives tendent à s’imposer, Jean Gallais saisit l’occasion de ce portrait pour louer cette géographie qui continue à se faire par le bas et qui a su déjouer un péril contenu en germe. Ce jeu d’équilibre, Jean Gallais le poursuit. Ainsi, à dessein et sans polémique, il renvoie dès les premières lignes à un portrait que Gilles Sautter fait du même auteur quelques années auparavant. Alors que ce dernier titre son analyse « Le système géographique de Pierre Gourou », Jean Gallais conclut sans ambages : « la pensée de Pierre Gourou n’est pas un système ». Rien d’étonnant dans ces portraits dissonants où la différence ne vaut pas contradiction car chacun dresse en conscience un « portrait partisan » faisant surgir des écrits de P.Gourou les éléments de pensée qui ont fertilisé ses propres recherches. Ainsi, en africaniste de science et de cœur Jean Gallais loue non sans plaisir l’inflexion que la pensée de P. Gourou doit à son expérience africaine. Aux sources d’une même pensée, plusieurs itinéraires intellectuels ont pris racine. Si Jean Gallais choisit d’articuler la pensée de P. Gourou à cet ensemble de possibles, c’est pour mieux faire valoir le non dogmatisme de l’homme et du scientifique. C’est à ses yeux sa plus grande qualité.
Plusieurs constantes tiennent ensemble cet itinéraire intellectuel que Jean Gallais décompose en 4 périodes finement explorées. La fidélité au principe originel d’une science ouverte à la réalité est sans conteste un caractère premier. Imposant longs séjours et intimité avec les situations étudiées, ce principe aide en retour le géographe à saisir la signification sociale des faits géographiques qui n’est jamais posée une fois pour toutes. Jean Gallais fait sienne ce principe de P. Gourou pour qui il n’est de géographie envisageable en delà. Ouverture aux lieux mais aussi au moment, à l’ambiance scientifique. « L’œuvre a des traits d’époque », dira avec complaisance Jean Gallais. Imprégnée des habitudes et des tendances de son temps, la géographie de P. Gourou se maintient à l’écoute du monde, évacuant tout ethnocentrisme qui rend le monde aveugle au géographe. L’évolution des positions de P. Gourou se nourrit de cette emprise qui loin d’être renoncement assure fidélité à un principe fondateur. Pour Jean Gallais, cette dialectique constante entre réalité et science suffit à prouver que « La pensée de P. Gourou n’est pas un système ». Puis le principe dicte la méthode. Seul le comparatisme est à même de produire une connaissance du monde qui conserve la vie et la liberté intactes. Certes, la méthode est chronophage mais le retour sur investissement est payant assurément plus que celle des « géographes peu soucieux de nuance » au service de « décideurs pressés ». De ceux qui n’ont pas envisagé qu’« une politique c’est choisir le moindre mal », il conteste la « méthode à la mode parfaitement a-scientifique ». Par ces mots durs, il repousse une géographie aveuglée par des modèles, simples outils de chercheur sans réalité ni signification sociale. Plus encore, il récuse sa prétendue saisie du social. En s’auto validant par des cas présélectionnés pour leur adéquation avec la théorie initiale, elle congédie l’écart, la différence, expurge le social de toute diversité, jusqu’à nier l’idée même de société. Aux antipodes, la géographie de Pierre Gourou est guidée par une étique et une déontologie auxquelles il ne renoncera jamais sur l’autel de la notoriété. Par l’évocation de ces constantes, Jean Gallais dresse de celui qui fut son maître un portrait intellectuel qui va bien au-delà de l’hommage.