Couverture

Source : Jean GALLAIS (1984), Hommes du Sahel : espaces-temps et pouvoirs : le delta intérieur du Niger, Flammarion, 289 pages.

Recension dans des revues étrangères (Annals of the Association of the American Geographers, revue Canadienne Anthropologie et Sociétés )

Vingt ans se sont écoulés depuis les premiers travaux de Jean Gallais sur le Delta intérieur du Niger. Il y revient dans les années 70 à la faveur des organismes internationaux qui le sollicitent pour des missions d’expertise concomitamment à la redoutable sècheresse de 1969-1974. Ce retour suscite en lui le vif désir d’une réécriture du « delta vingt ans après ». Pourtant, ce statut d’expert momentanément occupé le porte à s’interroger sur le sens et le désir de développement tant du point de vue des sociétés locales que de celui des experts. Pour les premières, sa conclusion bouscule des évidences : « le développement n’est ni une obligation ni une loi : c’est un projet de société parmi d’autres » (276). Faute d’une « société globale » contemporaine à l’instar de ce que le Delta a connu dans l’histoire, un tel projet semble sur le moment hors des préoccupations des sociétés du Delta. Pour les seconds, le propos est plus amer. Analysant des opérations précisément menées, Jean Gallais démontre la mal connaissance voire la méconnaissance de l’organisation humaine du Delta par nombre de ces experts. Pressés d’en finir avec cette opération pour en rejoindre une autre plus prestigieuse, leurs décisions s’appuient trop souvent sur l’organisation de surface du Delta sans remonter aux raisons humaines profondes qui en sont à l’origine. Ainsi avortent nombre d’opérations. Même les accords de façade ne résistent pas aux malentendus de sens qui les opposent. L’ouvrage concilie alors les deux obligations morales que Jean Gallais ressent vis-à-vis d’une région à laquelle il est attaché. Il offre certes une lecture épurée du Delta où les notions de culture-nature, de culture-historique, les conceptions de l’espace, du temps, du travail et du troupeau, de l’ethnie, les rapports de pouvoir … gagnent en puissance une fois débarrassées du formalisme de la géographie classique à laquelle il s’était soumis 20 ans auparavant. Mais c’est aussi un livre bilan qui pointe les évolutions sensibles et plus notoires depuis vingt ans. Comme à son habitude, c’est avec précaution qu’il aborde l’évidente dégradation du milieu naturel. Sans céder à l’explication simpliste véhiculée par les médias de l’époque, il démontre le poids respectifs des cycles naturels et des évolutions humaines. Le fragile équilibre observé lors de son premier séjour avait été gagné au prix de conditions pluviométriques rétrospectivement jugées favorables. L’entrée dans une phase sèche du cycle climatique l’a compromis. Mais c’est surtout l’évolution de la structuration sociale du Delta qui semble porter la responsabilité la plus importante. Le développement d’une économie disjointe de la production produit une catégorie sociale qui a déstabilisé les relations sociales antérieurement observées. La redistribution des rapports de pouvoir est donc le principal moteur de la fragilisation du milieu sollicité plus durement par une société différemment structurée. Si, toujours soucieux de comprendre et non de juger, Jean Gallais fait état de ces évolutions avec réserve, ce n’est que pour mieux dénoncer l’accaparement politique des opérations de développement conduites dans le déni le plus total des populations. Ainsi en a-t-il été de son « projet de code pastoral » où il préconisait d’associer les sociétés locales aux opérations de développement et qui s’est vu opposer un refus catégorique par ceux qui voient ces questions aux seules mains du pouvoir politique.